The Principal Navigations, Voyages, Traffiques and Discoveries of the English Nation - novelonlinefull.com
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On me dira peut-etre que rester ainsi en presence et sur la defensive vis-a-vis d'eux, seroit une honte pour nous. On me dira que, vivant de peu et de tout ce qu'ils trouvent, ils nous affameroient bientot si nous ne sortoins de notre fort pour aller les combattre.
Je repondrai que leur coutume n'est point de rester en place; qu'aujourd'hui dans un endroit, demain eloignes d'une journee et demie, ils reparoissent tout-a-coup aussi vite qu'ils ont disparu, et que, si l'on n'est point continuellement sur ses gardes, on court de gros risques.
L'important est donc, du moment ou on les a vus, d'etre toujours en defiance, toujours pret a monter a cheval et a se battre.
Si l'on a quelque mauvais pas a pa.s.ser, on ne manquera pas d'y envoyer des gens d'armes et des gens de trait autant que le lieu permettra d'en recevoir pour combattre, et l'on aura grand soin qu'ils soient constamment en bon ordre de bataille.
Jamais n'envoyez au fourrage, ce seroit autant d'hommes perdus; d'ailleurs vous ne trouveriez plus rien aux champs. En temps de guerre les Turcs font tout transporter dans les villes.
Avec toutes ces precautions, la conquete de la Grece [Footnote: On a deja vu plus haut que par le mot Grece l'auteur entend les etats que les Turcs possedoient en Europe.] ne sera pas une entreprise extremement difficile, pourvu, je le repete, que l'armee fa.s.se toujours corps, qu'elle ne se divise jamais, et ne veuille point envoyer de pelotons a la poursuite de l'ennemi. Si l'on me demande comment on aura des vivres, je dirai que la Grece et la Ra.s.sie ont des rivieres navigables, et que la Bulgarie, la Macedoine et les provinces Grecques sont fertiles.
En avancant ainsi toujours en ma.s.se, on forcera les Turcs a reculer, et il faudra qu'ils choisissent entre deux extremites, comme je l'ai deja dit, ou de repa.s.ser en Asie et d'abandonner leurs biens, leurs femmes et leurs enfans, puisque le pays n'est point de defense, ainsi qu'on l'a pu voir par la description que j'en ai donnee, ou de risquer une bataille, comme ils l'ont fait toutes les fois qu'ils ont pa.s.se le Danube.
Je conclus qu'avec de bonnes troupes composees des trois nations que j'ai nommees, Francais, Anglais et Allemands, on sera sur du succes, et que si elles sont en nombre suffisant, bien unies et bien commandees, elles iront par terre jusqu'a Jerusalem. Mais je reprends mon recit.
Je traversai le Danube a Belgrade. Il etoit en ce moment extraordinairement gonfle, et pouvoit bien avoir douze milles de large. Jamais, de memoire d'homme, on ne lui avoit vu une crue pareille. Ne pouvant me rendre a Boude (Bude) par le droit chemin, j'allai a une ville champetre (un village) nommee Pensey. De Pensey j'arrivai par la plaine la plus unie que je connoisse, et apres avoir traverse en bac une riviere a Beurquerel, ville qui appartient au despote de Ra.s.sie, et ou je pa.s.sai deux autres rivieres sur un pont. De Beurquerel je vins a Verchet, qui est egalement au despote, et la je pa.s.sai la Tiste (la Teisse), riviere large et profonde. Enfin je me rendis a Segading (Segedin) sur la Tiste.
Dans toute la longueur de cette route, a l'exception de deux pet.i.ts bois qui etoient enclos d'un ruisseau, je n'ai pas vu un seul arbre. Les habitans n'y brulent que de la paille ou des roseaux qu'ils rama.s.sent le long des rivieres ou dans leurs nombreux marecages. Ils mangent, au lieu de pain, des gateaux tendres; mais ils n'en ont pas beaucoup a manger.
Segedin est une grande ville champetre, composee d'une seule rue qui m'a paru avoir une lieue de longueur environ. Elle est dans un terroir fertile, abondant en toutes sortes de denrees. On y prend beaucoup de grues et de bistardes (outardes), et j'en vis un grand marche tout rempli; mais on les y apprete fort malproprement, et on les mange de meme. La Teisse fournit aussi quant.i.te de poissons, et nulle part je n'ai vu riviere en donner d'aussi gros.
On y trouxe egalement une grande quant.i.te de chevaux sauvages a vendre; mais on sait les domter et les apprivoiser, et c'est une chose curieuse a voir. On m'a meme a.s.sure que qui en voudroit trois ou quatre mille, les trouveroit dans la ville. Ils sont a si bon marche que pour dix florins de Hongrie on auroit un tres-beau roussin (cheval de voyage).
L'empereur, m'a-t-on dit, avoit donne Segedin a un eveque. J'y vis ce prelat, et me sembla homme de grosse conscience. Les cordeliers ont dans la ville une a.s.sez belle eglise. J'y entendis le service. Ils le font un peu a la Hongroise.
De Segedin je vins a Paele (Pest), a.s.sez bonne ville champetre sur le Danube, vis-a-vis Bude. D'une ville a l'autre le pays continue d'etre, bon et uni. On y trouve une quant.i.te immense de haras de jumens, qui vivent abandonnees a elles-memes en pleine campagne, comme les animaux sauvages; et telle est la raison qui fait qu'on en voit tant au marche de Segedin.
A Pest je traversai le Danube et entrai dans Bude sept jours apres mon depart de Belgrade.
Bude, la princ.i.p.ale ville de Hongrie, est sur une hauteur beaucoup plus longue que large. Au levant elle a le Danube, au couchant un vallon, et au midi un palais qui commande la porte de la ville, palais qu'a commence l'empereur, et qui, quand on l'aura fini, sera grand et fort. De ce cote, mais hors des murs, sont de tres beaux bains chauds. Il y en a encore au levant, le long du Danube, mais qui ne valent pas les autres.
La ville est gouvernee par des Allemands, tant pour les objets de justice et de commerce que pour ce qui regarde les differentes professions. On y voit beaucoup de Juifs qui parlent bien Francais, et dont plusieurs sont de ceux qu'on a cha.s.ses de France. J'y trouvai aussi un marchand d'Arras appele Clays Davion; il faisoit partie d'un certain nombre de gens de metier que l'empereur Sigismond avoit amenes de France. Clays travailloit en haute-lice. [Footnote: Sigismond, dans son voyage en France, avoit ete a portee d'y voir nos manufactures, et specialement celles de Flandre, renommees des-lors par leurs tap.i.s.series. Il avoit voulu en etablir de pareilles dans sa capitale de Hongrie, et avoit engage des ouvriers de differentes professions a l'y suivre.]
Les environs de Bude sont agreables, et le terroir est fertile en toutes sortes de denrees, et specialement en vins blancs qui ont un peu d'ardeur: ce qu'on attribue aux bains chauds du canton et au soufre sur lequel les eaux coulent. A une lieue de la ville se trouve le corps de saint Paul, hermite, qui s'est conserve tout entier.
Je retournai a Pest, ou je trouvai egalement six a huit familles Francaises que l'empereur y avoit envoyees pour construire sur le Danube, et vis-a-vis de son palais une grande tour. Son dessein etoit d'y mettre une chaine avec laquelle il put fermer la riviere. On seroit tente de croire qu'il a voulu en cela imiter la tour de Bourgogne qui est devant le chateau de l'Ecluse; mais ici je ne crois pas que le projet soit executable: la riviere est trop large. J'eus la curiosite d'aller visiter la tour. Elle avoit deja une hauteur d'environ trois lances, et l'on voyoit a l'entour une grande quant.i.te de pierres taillees; mais tout etoit reste la, parce que les premiers macons qui avoient commence l'ouvrage etoient morts, disoit-on, et que ceux qui avoient survecu n'en savoient pas a.s.sez pour le continuer.
Pest a beaucoup de marchands de chevaux, et qui leur en demanderoit deux mille bons les y trouveroit. Ils les vendent par ecurie composee de dix chevaux, et chaque ecurie est de deux cents florins. J'en ai vu plusieurs dont deux ou trois chevaux seuls valoient ce prix. Ils viennent la plupart des montagnes de Transylvanie, qui bornent la Hongrie au levant. J'en achetai un qui etoit grand coureur: ils le sont presque tous. Le pays leur est bon par la quant.i.te d'herbages qu'il produit; mais ils ont le defaut d'etre un peu quinteux, et specialement mal aises a ferrer. J'en ai meme vu qu'on etoit alors oblige d'abattre.
Les montagnes dont je viens de parler ont des mines d'or et de sel qui tous les ans rapportent au roi chacune cent mille florins de Hongrie. Il avoit abandonne celle d'or au seigneur de Prusse et au comte Mathico, a condition que le premier garderoit la frontiere contre le Turc, et le second Belgrade. La reine s'etoit reserve le revenu de celle du sel.
Ce sel est beau. Il se tire d'une roche et se taille en forme de pierre, par morceaux d'un pied de long environ, carres, mais un peu convexes en dessus. Qui les verroit dans un chariot les prendroit pour des pierres. On le broie dans un mortier, et il en sort pa.s.sablement blanc, mais plus fin et meilleur que tous ceux que j'ai goutes ailleurs.
En traversant la Hongrie j'ai souvent rencontre des chariots qui portoient six, sept ou huit personnes, et ou il n'y avoit qu'un cheval d'attele; car leur coutume, quand ils veulent faire de grandes journees, est de n'en mettre qu'un. Tous ont les roues de derriere beaucoup plus hautes que celles de devant. Il en est de couverts a la maniere du pays, qui sont tres-beaux et si legers qu'y compris les roues un homme, ce me semble, les porteroit sons peine suspendus a son cou. Comme le pays est plat et tres-uni, rien n'empeche le cheval de trotter toujours. C'est a raison de cette egalite de terrain que, quand on y laboure, on fait des sillons d'une telle longueur que c'est une merveille a voir.
Jusqu'a Pest je n'avois point eu de domestique; la je m'en donnai un, et pris a mon service un de ces compagnons maccons [sic--KTH] Francais qui s'y trouvoient. Il etoit de Brai-sur-Somme.
De retour a Bude j'allai, avec l'amba.s.sadeur de Milan, saluer le grand comte de Hongrie, t.i.tre qui repond a celui de lieutenant de l'empereur. Le grand comte m'accueillit d'abord avec beaucoup de distinction, parce qu'a mon habit il me prit pour Turc; mais quand il sut que j'etois chretien il se refroidit un peu. On me dit que c'etoit un homme peu sur dans ses paroles, et aux promesses duquel il ne falloit pas trop se fier. C'est un peu la en general ce qu'on reproche aux Hongrois; et, quant a moi, j'avoue que, d'apres l'idee que m'ont donnee d'eux ceux que j'ai hantes, je me fierois moins a un Hongrois qu'a un Turc.
Le grand comte est un homme age. C'est lui, m'a-t-on dit, qui autrefois arreta Sigismond, roi de Behaigne (Boheme) et de Hongrie, et depuis empereur; c'est lui qui le mit en prison, et qui depuis l'en tira par accommodement.
Son fils venoit d'epouser une belle dame Hongroise. Je le vis dans une joute qui, a la maniere du pays, eut lieu sur de pet.i.ts chevaux et avec des selles ba.s.ses. Les jouteurs etoient galamment habilles, et ils portoient des lances fortes et courtes. Ce spectacle est tres-agreable. Quand les deux champions se touchent il faut que tous deux, ou au moins l'un des deux necessairement, tombent a terre. C'est la que l'on connoit surement ceux qui savent se bien tenir en selle. [Footnote: En France, pour les tournois et les joutes, ainsi que pour les batailles, les chevaliers montoient de ces grands et fort chevaux qu'on appeloit palefrois. Leurs selles avoient par-devant et par-derriere de hauts arcons qui, par les points d'appui qu'ils leur fournissoient, leur donnoient bien plus de moyens de resister au coup de lance que les pet.i.ts chevaux et les selles ba.s.ses des Hongrois; et voila pourquoi notre auteur dit que c'est dans les joutes Hongroises qu'on peut reconnoitre le cavalier qui sait bien se tenir en selle.]
Quand ils joutent a l'estrivee pour des verges d'or, tous les chevaux sont de meme hauteur; toutes les selles sont pareilles et tirees au sort, et l'on joute par couples toujours paires, un contre un. Si l'un des deux adversaires tombe, le vainqueur est oblige de se retirer, et il ne joute plus.
Jusqu'a Bude j'avois toujours accompagne l'amba.s.sadeur de Milan; mais, avant de quitter la ville, il me prevint qu'en route il se separeroit de moi pour se rendre aupres du duc. D'apres cette annonce j'allai trouver mon Artesien Clays Davion, qui me donna, pour Vienne en Autriche, une lettre de recommendation adressee a un marchand de sa connoissance. Comme je m'etois ouvert a lui, et que je n'avois cru devoir lui cacher ni mon etat et mon nom, ni le pays d'ou je venois, et l'honneur que j'avois d'appartenir a monseigneur le duc (duc de Bourgogne), il mit tout cela dans la lettre a son ami, et je m'en trouvai bien.
De Bude je vins a Thiate, ville champetre ou le roi se tient volontiers, me dit-on; puis, a Janiz, en Allemand Jane, ville sur le Danube. Je pa.s.sai ensuite devant une autre qui est formee par une ile du fleuve, et qui avoit ete donnee par l'empereur a l'un des gens de monseigneur de Bourgogne, que je crois etre messire Renier Pot. Je pa.s.sai par celle de Brut, situee sur une riviere qui separe le royaume de Hongrie d'avec le d.u.c.h.e d'Autriche. La riviere coule a travers un marais ou l'on a construit une chaussee longue et etroite. Ce lieu est un pa.s.sage d'une grande importance; je suis meme persuade qu'avec peu de monde on pourroit le defendre et le fermer du cote de l'Autriche.
Deux lieues par-dela Brut l'amba.s.sadeur de Milan se separa de moi: il se rendit vers le duc son maitre, et moi a Vienne en Autriche, ou j'arrivai apres cinq jours de marche.
Entre dans la ville, je ne trouvai d'abord personne qui voulut me loger, parce qu'on me prenoit pour un Turc. Enfin quelqu'un, par aventure, m'enseigna une hotellerie ou l'on consent.i.t a me recevoir. Heureus.e.m.e.nt pour moi le domestique que j'avois pris a Pest savoit le Hongrois et le haut Allemand, et il demanda qu'on fit venir le marchand pour qui j'avois une lettre. On alla le chercher. Il vint, et non seulement il m'offrit tous ces services, mais il alla instruire monseigneur le duc Aubert, [Footnote: Albert II, duc d'Autriche, depuis empereur, a la mort de Sigismond.]
cousin-germain de mondit seigneur qui aussitot depecha vers moi un poursuivant, [Footnote: Poursuivant d'armes, sorte de heraut en usage dans les cours des princes.] et peu apres messire Albrech de Potardof.
II n'y avoit pas encore deux heures que j'etois arrive quand je vis messire Albrech descendre de cheval a la porte de mon logis, et me demander. Je me crus perdu. Peu avant mon depart pour les saints lieux, moi et quelques autres nous l'avions arrete entre Flandres et Brabant, parce que nous l'avions cru sujet de Phederich d'Autriche, [Sidenote: Frederic, duc d'Autriche, empereur apres Albert II.] qui avoit defie mondit seigneur; et je ne doutai pas qu'il ne vint m'arreter a mon tour, et peut-etre faire pis encore.
Il me dit que mondit seigneur d'Autriche, instruit que j'etois serviteur de mondit seigneur le duc, l'envoyoit vers moi pour m'offrir tout ce qui dependoit de lui; qu'il m'invitoit a le demander aussi hardiment que je le ferois envers mondit seigneur, et qu'il vouloit traiter ses serviteurs comme il feroit les siens meme. Messire Albrech parla ensuite en son nom: il me presenta de l'argent, m'offrit des chevaux et autres objets; en un mot il me rendit le bien pour le mal, quoiqu'apres tout cependant je n'eusse fait envers lui que ce que l'honneur me permettoit et m'ordonnoit meme de faire.
Deux jours apres, mondit seigneur d'Autriche m'envoya dire qu'il vouloit me parler; et ce fut encore messire Albrech qui vint me prendre pour lui faire la reverence. Je me presentai a lui au moment ou il sortoit de la messe, accompagne de huit ou dix vieux chevaliers notables. A peine l'eus-je salue qu'il me prit la main sans vouloir permetter que je lui parla.s.se a genoux.
Il me fit beaucoup de questions, et particulierement sur mondit seigneur; ce qui me donna lieu de presumer qu'il l'aimoit tendrement.
C'etoit un homme d'a.s.sez grande taille et brun; mais doux et affable, vaillant et liberal, et qui pa.s.soit pour avoir toutes sortes de bonnes qualites. Parmi les personnes qui l'accompagnoient etoient quelques seigneurs de Boheme que les Houls en avoient cha.s.ses parce qu'ils ne vouloient pas etre de leur religion. [Footnote: Houls, Hussites, disciples de Jean Hus (qu'on p.r.o.noncoit Hous), sectaires fanatiques qui dans ce siecle inonderent la Boheme de sang, et se rendirent redoutables par leurs armes.]
Il se presenta egalement a lui un grand baron de ce pays, appele Paanepot, qui, avec quelques autres personnes, venoit, au nom des Hussites, traiter avec lui et demander la paix. Ceux-ci se proposoient d'aller au secours du roi de Pologne contre les seigneurs de Prusse, et ils lui faisoient de grandes offres, m'a-t-on dit, s'il vouloit les seconder; mais il repondit, m'a-t-on encore ajoute, que s'ils ne se soumettoient a la loi de Jesus-Christ, jamais, tant qu'il seroit en vie, il ne feroit avec eux ni paix ni treve.
En effet, au temps ou il leur parloit les avoit deja battus deux fois. Il avoit repris sur eux toute la Morane (Moravie), et, par sa conduite et sa vaillance, s'etoit agrandi a leurs depens.
Au sortir de son audience je fus conduite a celle de la d.u.c.h.esse, grande et belle femme, fille de l'empereur, et par lui heritiere du royaume de Hongrie et de Boheme, et des autres seigneuries qui en dependent. Elle venoit tout recemment d'accoucher d'une fille; ce qui avoit occasionne des fetes et des joutes d'autant plus courues, que jusque-la elle n'avoit point eu d'enfans.
Le lendemain mondit seigneur d'Autriche m'envoya inviter a diner par messire Albrech, et il me fit manger a sa table avec un seigneur Hongrois et un autre Autrichien. Tous ses gens sont a gages, et personne ne mange avec lui que quand on est en prevenu par son maitre d'hotel.
La table etoit carree. La coutume est qu'on n'y apporte qu'un plat a la fois, et que celui qui s'en trouve le plus voisin en goute le premier. Cet usage tient lieu d'essai. [Footnote: Chez les souverains on faisoit l'essai des viandes a mesure qu'on les leur servoit, et il y avoit un officier charge de cette fonction qui, dans l'origine, avoit ete une precaution prise contre le poison.] On servit chair et poisson, et sur-tout beaucoup de differentes viandes fort epicees, mais toujours plat a plat.
Apres le diner on me mena voir les danses chez madame la d.u.c.h.esse. Elle me donna un chapeau de fil d'or et de soie, un anneau et un diamant pour mettre sur ma tete, selon la coutume du pays. Il y avoit la beaucoup de n.o.blesse en hommes et en femmes; j'y vis des gens tres-aimables, et les plus beaux cheveux qu'on puisse porter.
Quand j'eus ete la quelque temps, un gentilhomme nomme Payser, qui, bien qu'il ne fut qu'ecuyer, [Footnote: Qui n'etoit pas encore chevalier.] etoit chambellan et garde des joyaux de mondit seigneur d'Autriche, vint de sa part me prendre pour me les montrer. Il me fit voir la couronne de Boheme, qui a d'a.s.sez belles pierreries, et entr'autres un rubis, le plus considerable que j'aie vu. Il m'a paru plus gros qu'une grosse datte; mais il n'est point net, et offre quelques cavites dans le fond desquelles on apercoit des taches noires.
De la ledit garde me mena voir les waguebonnes, [Footnote: Waguebonne, sorte de chariot ou de tour ambulante pour les combats.] que mondit seigneur avoit fait construire pour combattre les Bohemiens. Je n'en vis aucun qui put contenir plus de vingt hommes; mais on me dit qu'il y en avoit un qui en porteroit trois cents, et auquel il ne falloit pour le trainer que dix-huit chevaux.
Je trouvai a la cour monseigneur de Valse, gentil chevalier, et le plus grand seigneur de l'Autriche apres le duc; j'y vis messire Jacques Trousset, joli chevalier de Zoave (Souabe): mais il y en avoit un autre, nomme le Chant, echanson ne de l'Empire, qui, ayant perdu a la bataille de Bar un sien frere et plusieurs de ses amis, et sachant que j'etois a monseigneur le duc, me fit epier pour savoir le jour de mon depart et me saisir en Baviere lorsque j'y pa.s.serois. Heureus.e.m.e.nt pour moi monseigneur d'Autriche fut instruit de son projet. Il le congedia, et me fit rester a Vienne plus que je ne comptois, pour attendre le depart de monseigneur de Valse et de messire Jacques, avec lesquels je partis.
Pendant mon sejour j'y vis trois de ces joutes dont j'ai parle, a pet.i.ts chevaux et a selles ba.s.ses. L'une eut lieu a la cour, et les deux autres dans les rues; mais a celles-ci, plusieurs de ceux qui furent renverses tomberent si lourdement qu'ils se blesserent avec danger.
Mondit seigneur d'Autriche me fit offrir en secret de l'argent. Je recus les meme offres de messire Albert et de messire Robert Daurestof, grand seigneur du pays, lequel, l'annee d'auparavant, etoit alle en Flandre deguise, et y avoit vu mondit seigneur le duc, dont il disoit beaucoup de bien. Enfin j'en recus de tresvives d'un poursuivant Breton-bretonnant (Bas-Breton) nomme Toutseul, qui, apres avoir ete au service de l'amiral d'Espagne, etoit a celui de mondit seigneur d'Autriche. Ce Breton venoit tous les jours me chercher pour aller a la messe, et il m'accompagnoit par-tout ou je voulois aller. Persuade que j'avois du depenser en route tout ce que j'avois d'argent, il vint, peu avant mon depart, m'en presenter cinquante marcs qu'il avoit en emaux. Il insista beaucoup pour que je les vendisse a mon profit; et comme je refusois egalement de recevoir et d'emprunter, il me protesta que jamais personne n'en sauroit rien.
Vienne est une ville a.s.sez grande, bien fermee de bons fosses et de hauts murs, et ou l'on trouve de riches marchands et des ouvriers de toute profession. Au nord elle a le Danube qui baigne ses murs. Le pays aux environs est agreable et bon, et c'est un lieu de plaisirs et d'amus.e.m.e.ns.
Les habitans y sont mieux habilles qu'en Hongrie, quoiqu'ils portent tous de gros pourpoints bien epais et bien larges.
En guerre, ils mettent par-dessus le pourpoint un bon haubergeon, un glacon, [Footnote: Glacon ou glachon, sorte d'armure defensive. Les Suisses estoient a.s.sez communement habillez de jacques, de pans, de haubergerie, de glachons et de chapeaux de fer a la facon d'Allemagne. (Mat. de Coucy, p.
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