The Principal Navigations, Voyages, Traffiques and Discoveries of the English Nation - novelonlinefull.com
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En le quittant je cherchai a lui temoigner ma reconnoissance; mais il ne voulut rien accepter qu'un couvre-chef de nos toiles fines d'Europe, et cet objet parut lui faire grand plaisir. Il me raconta toutes les occasions venues a sa connoissance, ou sans lui, j'aurois couru risque d'etre a.s.sa.s.sine, et me prevint d'etre bien circonspect dans les liaisons que je ferois avec les Sarrasins, parce qu'il s'en trouvoit parmi eux d'aussi mauvais que les Francs. J'ecris ceci pour rappeler que celui qui, par amour de Dieu, m'a fait tant de bien, etoit "ung homme hors de nostre foy."
Le pays que nous eumes a parcourir apres etre sortis de Couhongue est fort beau, et il a d'a.s.sez bons villages; mais les habitans sont mauvais: le chef me defendit meme, dans un des villages ou nous nous arretames, de sortir de mon logement, de peur d'etre a.s.sa.s.sine. Il y a pres de ce lieu un bain renomme, ou plusieurs malades accourent pour chercher guerison. On y voit des maisons qui jadis appartinrent aux hospitaliers de Jerusalem, et la croix de Jerusalem s'y trouve encore.
Apres trois jours de marche nous arrivames a une pet.i.te ville nomme Achsaray, situee au pied d'une haute montagne, qui la garant.i.t du midi. Le pays est uni, mais mal-peuple, et les habitans pa.s.sent pour mechans: aussi me fut-il encore defendu de sortir la nuit hors de la maison.
Je voyageai la journee suivante entre deux montagnes dont les cimes sont couronnees d'un peu de bois. Le canton, a.s.sez bien peuple, l'est un partie par des Turcomans; mais il y a beaucoup d'herbages et de marais.
La je traversai une pet.i.te riviere qui separe ce pays de Karman d'avec l'autre Karman que possede Amurat-Bey, nomme par nous le Grand-Turc. Cette portion ressemble a la premiere; elle offre comme elle un pays plat, pa.r.s.eme ca et la de montagnes.
Sur notre route nous cotoyames une ville a chateau, qu'on nomme Achanay.
Plus loin est un beau caravanserai ou nous comptions pa.s.ser la nuit; mais il y avoit vingt-cinq anes. Notre chef ne voulut pas y entrer, et il prefera retourner une lieue on arriere sur ses pas, jusqu'a un gros village ou nous logeames, et ou nous trouvames du pain, du fromage et du lait.
De ce lieu je vins a Kara.s.sar en deux jours. Cara.s.sar, en langue Turque, signifie pierre noire. C'est la capitale de ce pays, dont s'est empare de force Amurat-Bey. Quoiqu'elle ne soit point fermee, elle est marchande, et a un des plus beaux chateaux que j'aie vus, quoiqu'il n'ait que de l'eau de citerne. Il occupe la cime d'une haute roche, si bien arrondie qu'on la croiroit taillee au ciseau. Au bas est la ville, qui l'entoure de trois cotes; mais elle est a son tour enveloppee, ainsi que lui, par une montagne en croissant, depuis grec jusqu'a mestre (depuis le nord-est jusqu'au nord-ouest). Dans le reste de la circonference s'ouvre une plaine que traverse une riviere. Il y avoit peu de temps que les Grecs s'etoient empares de ce lieu; mais ils l'avoient perdu par leur lachete.
On y apprete les pieds de mouton avec une perfection et une proprete que je n'ai vues nulle part. Je m'en regalai d'autant plus volontiers que depuis Couhongue je n'avois pas mange de viande cuite. On y fait aussi, avec des noix vertes, un mets particulier. Pour cela on les pele, on les coupe en deux, on les enfile avec une ficelle, et on les arrose de vin cuit, qui se prend tout autour et y forme une gelee comme de la colle. C'est une nourriture a.s.sez agreable, sur-tout quand on a faim. Nous fumes obliges d'y faire une provision de pain et de fromage pour deux jours; et je conviens que j'etois degoute de chair crue.
Ces deux jours furent employes a venir de Cara.s.sar a Cotthay. Le pays est beau, bien arrose et garni de montagnes peu elevees. Nous traversames un bout de foret qui me parut remarquable en ce qu'elle est composee entierement de chenes, et que ces arbres y sont plus gros, plus droits et plus hauts que ceux que j'avois ete a portee de voir jusque-la. D'ailleurs ils n'ont, comme les sapins, de branches qu'a leurs cimes.
Nous vinmes loger dans un caravanserai qui etoit eloigne de toute habitation. Nous y trouvames de l'orge et de la paille, et il eut ete d'autant plus aise de nous en approvisionner, qu'il n'y avoit d'autre gardien qu'un seul valet. Mais on n'a rien de semblable a craindre dans ces lieux-la, et il n'est point d'homme a.s.sez hardi pour oser y prendre une poignee de marchandise sans payer.
Sur la route est une pet.i.te riviere renommee pour son eau Hoyarbarch alla en boire avec ses femmes; il voulut que j'en busse aussi, et lui-meme m'en presenta dans son gobelet de cuir. C'etoit la premiere fois de toute la route qu'il me faisoit cette faveur.
Cotthay, quoique a.s.sez considerable, n'a point de murs; mais elle a un beau et grand chateau compose de trois forteresses placees l'une au-dessus de l'autre sur le penchant d'une montagne, lequel a une double enceinte. C'est dans cette place qu'etoit le fils aine du grand-Turc.
La ville possede un caravanserai ou nous allames loger. Deja il y avoit des Turcs, et nous fumes obliges d'y mettre tous nos chevaux pele-mele, selon l'usage; mais le lendemain matin, au moment ou j'appretois le mien pour partir, je m'apercus qu'on m'avoit pris l'une des courroies qui me servoit a attacher derriere ma selle le tapis et autres objets que je portois en trousse.
D'abord je criai et me fachai beaucoup. Mais il y avoit la un esclave Turc, l'un de ceux du fils aine, homme de poids et d'environ cinquante ans, qui, m'entendant et voyant que je ne parlois pas bien la langue, me prit par la main et me conduisit a la porte du caravanserai. La il me demanda en Italien qui j'etois. Je fus stupefait d'entendre ce langage dans sa bouche.
Je repondis que j'etois Franc. "D'ou venez-vous? ajouta-t-il.--De Damas, dans la compagnie d'Hoyarbarach, et je vais a Bourse retrouver un de mes freres.--Eh bien, vous etes un espion, et vous venez chercher ici des renseignemens sur le pays. Si vous ne l'etiez pas, n'auriez-vous pas du prendre la mer pou; retourner chez vous?"
Cette inculpation a laquelle je ne m'attendois pas m'interdit; je repondis cependant que les Venitiens et les Genois se faisoient sur mer une guerre si acharnee que je n'osois m'y risquer. Il me demanda d'ou j'etois. Du royaume de France, repartis-je. Etes-vous des environs de Paris? reprit il.
Je dis que non, et je lui demandai a mon tour s'il connoissoit Paris. Il me repondit qu'il y avoit ete autrefois avec un capitaine nomme Bernabo.
"Croyez-moi, ajouta-t-il, allez dans le caravanserai chercher votre cheval, et amenez-le moi ici; car il y a la des esclaves Albaniens qui acheveroient de vous prendre ce qu'il porte encore. Tandis que je le garderai, vous irez dejeuner, et vous ferez pour vous et pour lui une provision de cinq jours, parce que vous serez cinq journees sans rien trouver."
Je profitai du conseil; j'allai m'approvisionner, et je dejeunai avec d'autant plus de plaisir que depuis deux jours je n'avois goute viande, et que je courois risque de n'en point tater encore pendant cinq jours.
Sorti du caravanserai, je pris le chemin de Bourse, et laissai a gauche, entre l'occident et le midi, celui de Troie-la-Grant. [Footnote: L'auteur, en donnant ici a la fameuse Troie la denomination de grande, ne fait que suivre l'usage de son siecle. La historiens et les romanciers du temps la designoient toujours ainsi, "histoire de Troye-la-Grant," "destruction de Troie-la-Grant," etc.] Il y a d'a.s.sez hautes montagnes, et j'en eus plusieurs a pa.s.ser. J'eus aussi deux journees de forets, apres quoi je traversai une belle plaine dans laquelle il y a quelques villages a.s.sez bons pour le pays. A demi-journee de Bourse il en est un ou nous trouvames de la viande et du raisin; ce raisin etoit aussi frais qu'au temps des vendanges: ils savent le garder ainsi toute l'annee; c'est un secret qu'ils ont. Les Turcs m'y regalerent de roti; mais il n'etoit pas cuit a moitie. A mesure que la viande se rotissoit, nous la coupions a la broche par tranches. Nous eumes aussi du kaymac; c'est de la creme de buffle. Elle etoit si bonne et si douce, et j'en mangeai tant que je manquai d'en crever.
Ayant d'entrer dans le village nous vimes venir a nous un Turc de Bourse qui etoit envoye a l'epouse de Hoyarbarach pour lui annoncer la mort de son pere. Elle temoigna une grande douleur, et ce fut a cette occasion que s'etant decouvert le visage, j'eus le plaisir de la voir; ce qui ne m'etoit pas encore arrive de toute-la route. C'etoit une fort belle femme.
Il y avoit dans le lieu un esclave Bulgare renegat, qui, par affectation de zele et pour se montrer bon Sarrasin, reprocha aux Turcs de la caravane de me laisser aller dans leur compagnie, et dit que c'etoit un peche a eux qui revenoient du saint pelerinage de la Mecque: en consequence ils me notifierent qu'il falloit nous separer, et je fus oblige de me rendre a Bourse.
Je partis donc le lendemain, une heure avant le jour, avec l'aide de Dieu qui jusque-la m'avoit conduit; il me guida encore si bien que dans la route je ne demandai mon chemin qu'une seule fois.
En entrant dans la ville je vis beaucoup de gens qui en sortoient pour aller au-devant de la caravane. Tel est l'usage; les plus notables s'en font un devoir; c'est une fete. Il y en eut meme plusieurs qui, me croyant un des pelerins, me baiserent les mains et la robe.
En y entrant je me vis embarra.s.se, parce que d'abord on trouve une place qui s'ouvre par quatre rues, et que je ne savois laquelle prendre. Dieu me fir encore choisir la bonne, laquelle me conduisit au bazar, ou sont les marchandises et les marchands. Je m'adressai au premier chretien que j'y vis, et ce chretien se trouva heureus.e.m.e.nt un des espinolis de Genes, celui-la meme pour qui Parvesin de Baruth m'avoit donne des lettres. Il fut fort etonne de me voir, et me conduisit chez un Florentin ou je logeai avec mon chevall. J'y restai dix jours, temps que j'employai a parcourir la ville, conduit par les marchands, qui se firent un plaisir de me mener par-tout eux-memes.
De toutes celles que possede le Turc, c'est la plus considerable; elle est grande, marchande, et situee au pied et au nord du mont Olimpoa (Olympe), d'ou descend une riviere qui la traverse et qui, se divisant en plusieurs bras, forme comme un amas de pet.i.tes villes, et contribue a la faire paroitre plus grande encore.
C'est a Burse que sont inhumees les seigneurs de Turquie (les sultans). On y voit de beaux edifices, et surtout un grand nombre d'hopitaux, parmi lesquels il y en a quatre ou l'on distribue souvent du pain, du vin et de la viande aux pauvres, qui veulent les prendre pour Dieu. A l'une des extremites de la ville, vers le ponent, est un beau et vaste chateau bati sur une hauteur, et qui peut bien renfermer mille maisons. La est aussi le palais du seigneur, palais qu'on m'a dit etre interieurement un lieu tres-agreable, et qui a un jardin avec un joli etang. Le prince avoit alors cinquante femmes, et souvent, dit-on, il va sur l'etang s'amuser en bateau avec quelqu'une d'elles.
Burse etoit aussi le sejour de Camusat Bayschat (pacha), seigneur, ou, comme nous autres nous dirions, gouverneur et lieutenant de la Turquie.
C'est un tres-vaillant homme, le plus entreprenant qu'ait le Turc, et le plus habile a conduire sagement une enterprise. Aussi sont-ce princ.i.p.alement ces qualites qui lui ont fait donner ce gouvernement.
Je demandai s'il tenoit bien le pays et s'il savoit se faire obeir. On me dit qu'il etoit obei et respecte comme Amurat lui-meme, qu'il avoit pour appointemens cinquante mille ducats par an, et que, quand le Turc entroit en guerre, il lui menoit a ses depens vingt mille hommes; mais que lui, de son cote, il avoit egalement ses pensionnaires qui, dans ce cas, etoient tenus de lui fournir a leurs frais, l'un mille hommes, l'autre deux mille, l'autre trois, et ainsi des autres.
Il y a dans Burse deux bazars; l'un ou l'on vend des etoffes de soie de toute espece, de riches et belles pierreries, grande quant.i.te de perles, et a bon marche, des toiles de coton, ainsi qu'une infinite d'autres marchandises dont l'enumeration seroit trop longue; l'autre ou l'on achete du coton et du savon blanc, qui fait la un gros objet de commerce.
Je vis aussi dans une halle un spectacle lamentable: c'etoient des chretiens, hommes et femmes, que l'on vendoit. L'usage est de les faire a.s.seoir sur les bancs. Celui qui veut les acheter ne voit d'eux que le visage et les mains, et un peu le bras des femmes. A Damas j'avois vu vendre une fille noire, de quinze a seize ans; on la menoit au long des rues toute nue, "fors que le ventre et le derriere, et ung pou au-desoubs."
C'est a Burse que, pour la premiere fois, je mangeai du caviare [Footnote: Caviaire, caviar, cavial, caviat, sorte de ragout ou de mets compose d'oeufs d'esturgeons qu'on a saupoudres de sel et seches au soleil. Les Grecs en font une grande consommation dans leurs differens caremes.] a l'huile d'olive. Cette nouriture n'est guere bonne que pour des Grecs, ou quand on n'a rien de mieux.
Quelques jours apres qu'Hoyarbarach fut arrive j'allai prendre conge de lui et le remercier des moyens qu'il m'avoit procures, de faire mon voyage. Je le trouvai au bazar, a.s.sis sur un haut siege de pierre avec plusieurs des plus notables de la ville. Les marchands s'etoient joints a moi dans cette visite.
Quelques-uns d'entre eux, Florentins de nation, s'interessoient a un Espagnol qui, apres avoir ete esclave du Soudan, avoit trouve le moyen de s'echapper d'Egypte et d'arriver jusqu'a Burse. Ils me prierent de l'emmener, avec moi. Je le conduisis a mes frais jusqu'a Constantinople, ou je le laissai; mais je suis persuade que c'etoit un renegat. Je n'en ai point eu de nouvelles depuis.
Trois Genois avoient achete des epices aux gens de la caravane, et ils se proposoient d'aller les vendre a Pere (Pera), pres de Constantinople, par-dela le detroit que nous appelons le Bras-de-Saint-George. Moi qui voulais profiter par leur compagnie, j'attendis leur depart, et c'est la raison qui me fit rester dans Burse; car, a moins d'etre connu, l'on n'obtient point de pa.s.ser le detroit. Dans cette vue ils me procurerent une lettre du gouverneur. Je l'emportai avec moi; mais elle ne me servit point, parce que je trouvai moyen de pa.s.ser avec eux. Nous partimes ensemble.
Cependant ils m'avoient fait acheter pour ma surete un chapeau rouge fort eleve, avec une huvette [Footnote: Huvette, sorte d'ornement qu'on mettoit au chapeau.] en fil d'archal, que je portai jusqu'a Constantinople.
Au sortir de Burse nous traversames vers le nord une plaine qu'arrose une riviere profonde qui va se jetter, quatre lieues environ plus bas, dans le golfe, entre Constantinople et Galipoly. Nous eumes une journee de montagnes, que des bois et un terrain argileux rendirent tres-penible. La est un pet.i.t arbre qui porte un fruit un peu plus gros que nos plus fortes cerises, et qui a la forme et le gout de nos fraises, quoiqu'un peu aigrelet. Il est fort agreable a manger; mais si on en mange une certaine quant.i.te, il porte a la tete et enivre. On le trouve en Novembre et Decembre. [Footnote: La description de l'auteur annonce qu'il s'agit ici de l'arbousier.]
Du haut de la montagne on voit le golfe de Galipoly. Quand on l'a descendu on entre dans une vallee terminee par un tres-grand lac, autour duquel sont construites beaucoup de maisons. C'est la que j'ai vu pour la premiere fois faire des tapis de Turquie. Je pa.s.sai la nuit dans la vallee. Elle produit beaucoup de riz.
Au-dela on trouve, tantot un pays de montagnes et de vallees, tantot un pays d'herbages, puis une haute foret qu'il seroit impossible de traverser sans guide, et ou les chevaux enfoncent si fort qu'ils ont grande peine a s'en tirer. Pour moi je crois que c'est celle dont il est parle dans l'histoire de G.o.defroi de Bouillon, et qu'il eut tant de difficulte a traverser.
Je pa.s.sai la nuit par-dela, dans un village qui est a quatre lieues en-deca de Nichomede (Nichomedie). Nichomedie est une grande ville avec havre. Ce havre, appele le Lenguo, part du golfe de Constantinople et s'etend jusqu'a la ville, ou il a de largeur un trait d'arc. Tout ce pays est d'un pa.s.sage tres-difficultueux.
Par-dela Nicomedie, en tirant vers Constantinople, il devient tres-beau et a.s.sez bon. La on trouve plus de Grecs que de Turcs; mais ces Grecs ont pour les chretiens (pour les Latins) plus d'aversion encore que les Turcs eux-memes.
Je cotoyai le golfe de Constantinople, et laissant le chemin de Nique (Nicee), ville situee au nord, pres de la mer Noire, je vins loger successivement dans un village en ruine, et qui n'a pour habitans que des Grecs; puis dans un autre pres de Scutari; enfin a Scutari meme, sur le detroit, vis-a-vis de Pera.
La sont des Turcs auxquels il faut payer un droit, et qui gardent le pa.s.sage. Il y a des roches qui le rendroient tres-aise a defendre si on vouloit le fortifier. Hommes et chevaux peuvent s'y embarquer et debarquer ais.e.m.e.nt. Nous pa.s.sames, mes compagnons et moi, sur deux vaisseaux Grecs.
Ceux a qui appartenoit celui que je montois me prirent pour Turc, et me rendirent de grands honneurs. Mais quand ils m'eurent descendu a terre, et qu'ils me virent, en entrant dans Pera, laisser a la porte mon cheval en garde, et demander un marchand Genois nomme Christophe Parvesin, pour qui j'avois des lettres, ils se douterent que j'etois chretien. Deux d'entre eux alors m'attendirent a la porte, et quand je vins y reprendre mon cheval ils me demanderent plus que ce que j'etois convenu de leur donner pour mon pa.s.sage, et voulurent me ranconner. Je crois meme qu'ils m'auroient battu s'ils l'avoient ose; mais j'avois mon epee et mon bon tarquais: d'ailleurs un cordonnier Genois qui demeuroit pres de la vint a mon aide, et ils furent obliges de se retirer.
J'ecris ceci pour servir d'avertiss.e.m.e.nt aux voyageurs qui, comme moi, auroient affaire a des Grecs. Tous ceux avec qui j'ai eu a traiter ne m'ont laisse que de la defiance. J'ai trouve plus de loyaute en Turquie. Ce peuple n'aime point les chretiens qui obeissent a l'eglise de Rome; la soumission qu'il a faite depuis a cette eglise etoit plus interessee que sincere. [Footnote: En 1438, Jean Paleologue II vint en Italie pour reunir l'eglise Grecque avec la Latine, et la reunion eut lieu l'annee suivante au concile de Florence. Mais cette demarche n'etoit de la part de l'empereur, ainsi que le remarque la Brocquiere, qu'une operation politique dictee par l'interet, et qui n'eut aucune suite. Ses etats se trouvoient dans une situation si deplorable, et il etoit tellement presse par les Turcs, qu'il cherchoit a se procurer le secours des Latins; et c'est dans cet espoir qu'il etoit venu leurrer le pape. Cette epoque de 1438 est remarquable pour notre voyage. Elle prouve que la Brocquiere, puisqu'il la cite, le publia posterieurement a cette annee-la.] Aussi m'a-t-on dit que, peu avant mon pa.s.sage, le pape, dans un concile general, les avoit declares schismatiques et maudits, en les devouant a etre esclaves de ceux qui etoient esclaves.
[Footnote: Fait faux. Le concile general qui eut lieu peu avant le pa.s.sage de l'auteur par Constantinople est celui de Bale en 1431. Or, loin d'y maudire et anathematiser les Grecs, on s'y occupa de leur reunion. Cette pretendue malediction etoit sans doute un bruit que faisoient courir dans Constantinople ceux qui ne vouloient pas de rapprochement, et le voyageur le fait entendre par cette expression, l'on m'a dit.]
Pera est une grande ville habitee par des Grecs, par des Juifs et par des Genois. Ceux-ci en sont les maitres sous le duc de Milan, qui s'en dit le seigneur; ils y ont un podestat et d'autres officiers qui la gouvernent a leur maniere. On y fait un grand commerce avec les Turcs; mais les Turcs y jouissent d'un droit de franchise singulier: c'est que si un de leurs esclaves s'echappe et vient y chercher un asile, on est oblige de le leur rendre. Le port est le plus beau de tous ceux que j'ai vus, et meme de tous ceux, je crois, que possedent les chretiens, puisque les plus grosses caraques Genoises peuvent venir y mettre ech.e.l.le a terre. Mais comme tout le monde sait cela, je m'abstiens d'en parler. Cependant il m'a semble que du cote de la terre, vers l'eglise qui est dans le voisinage de la porte, a l'extremite du havre, il y a un endroit foible.
Je trouvai a Pera un amba.s.sadeur du duc de Milan, qu'on appeloit messire Benedicto de Fourlino. Le duc, qui avoit besoin de l'appui de l'empereur Sigismond contre les Venitiens, et qui voyoit Sigismond embarra.s.se a defendre des Turcs son royaume de Hongrie, envoyoit vers Amurat une amba.s.sade pour negocier un accommodement entre les deux princes.
Messire Benedicto me fit, en l'honneur de monseigneur de Bourgogne, beaucoup d'accueil; il me conta meme que, pour porter dommage aux Venitiens, il avoit contribue a leur faire perdre Salonique, prise sur eux par les Turcs; et certes en cela il fit d'autant plus mal que depuis j'ai vu des habitans de cette ville renier Jesus-Christ pour embra.s.ser la loi de Mahomet.
Il y avoit aussi a Pera un Napolitain nomme Pietre de Naples avec qui je me liai. Celui-ci se disoit marie dans la terre du pretre Jean, et il fit des efforts pour m'y emmener avec lui. Au reste, comme je le questionnai beaucoup sur ce pays, il m'en conta bien des choses que je vais ecrire.
J'ignore s'il me dit verite ou non, mais je ne garantis rien.
Nota. La maniere dont notre voyageur annonce ici la relation du Napolitain, annonce combien peu il y croyoit; et en cela le bon sens qu'il a montre jusqu'a present ne se dement pas. Ce recit n'est en effet qu'un amas de fables absurdes et de merveilles revoltantes qui ne meritent pas d'etre citees, quoiqu'on les trouve egalement dans certains auteurs du temps.
Laissons l'auteur reprendre son discours.