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The Principal Navigations, Voyages, Traffiques and Discoveries of the English Nation Volume X Part 10

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Apres eux enfin venoit une dame Turque, parente de grand-seigneur: elle etoit dans une litiere que portoient deux chameaux richement pares et couverts. Il y avoit plusieurs de ces animaux couverts de drap d'or.

La caravane etoit composee de Maures, de Turcs, Barbes (Barbaresques), Tartres (Tatars), Persans et autres sectateurs du faux prophete Mahomet.

Ces gens-la pretendent que, quand ils ont fait une fois le voyage de la Mecque, ils ne peuvent plus etre d.a.m.nes. Cest ce que m'a.s.sura un esclave renegat. Vulgaire (Bulgare) de naissance, lequel appartenoit a la dame dont je viens de parler. Il s'appeloit Hayauldoula, ce qui en Turc signifie serviteur de Dieu, et pretendoit avoir ete trois fois a la Mecque. Je me liai avec lui, parce qu'il parloit un peu Italien, et souvent meme il me tenoit compagnie la nuit ainsi que le jour.

Plusieurs fois, dans nos entretiens, je l'interrogeai sur Mahomet, et lui demandai ou reposoit son corps. Il me repondit que c'etoit a la Mecque; que la fiertre (cha.s.se) qui le renfermoit se trouvoit dans une chapelle ronde, ouverte par le haut: que c'etoit par cette ouverture que les pelerins alloient voir la fiertre, et que parmi eux il y en avoit qui, apres l'avoir vue, se faisoient crever les yeux, parce qu'apres cela le monde ne pouvait rien offrir, disoient-ils, qui meritat leur regards. Effectivement il y en avoit deux dans la troupe, l'un d'environ seize ans, l'autre de vingt-deux a vingt-trois, qui c'etoient fait aveugler ainsi.

Hayauldoula me dit encore que c'nest point a la Mecque qu'on gagne les pardons, mais a Meline (Medine), ville ou saint Abraham fist faire une maison qui y est encoires. [Footnote: Notre voyageur a confondu: c'est a Medine, et non a la Mecque, qu'est le tombeau de Mahomet; c'est a la Mecque, et non a Medine, qu'est la pretendue maison d'Abraham, que les pelerins gagnent les pardons et que se fait le grand commerce.] La maison est en forme de cloitre, et le pelerins en font le tour.

Quant a la ville, elle est sur le bord de la mer. Les hommes de la terre du pretre Jean (les Indiens) y apportent sur de gros vaisseaux les epices et autres marchandises que produit leur pays. C'est la que les Mahometans vont les acheter. Ils les chargent sur des chameaux ou sur d'autres betes de somme, et les portent au Caire, a Damas et autres lieux, ainsi qu'on sait.

De la Mecque a Damas il y a quarante journees de marche a travers le desert; les chaleurs y sont excessives, et la caravane avoit eu plusieurs personnes etouffees.

Selon l'esclave renegat, celle de Medine doit annuellement etre compossee de sept cent mille personnes; et quand ce nombre n'est pas complet, Dieu; pour le remplir, y envoie des agnes. Au grand jour du jugement Mahomet fera entrer en paradis autant de personnes qu'il voudra, et la ils auront a discretion du lait et des femmes.

Comme sans cesse j'entendois parler de Mohomet, je voulus savoir sur lui quelque chose, et m'adressai pour cela a un pretre qui dans Damas etoit attache au consul des Venitiens, qui disoit souvent la messe a l'hotel confessoit les marchands de cette nation, et, en cas de danger, regloit leurs affaires. Je me confessai a lui, je reglai les miennes, et lui demandai s'il connoissoit l'historie de Mahomet. Il me dit que oui, et qu'il savoit tout son Alkoran. Alors je le suppliai le mieux qu'il me fut possible de rediger par ecrit ce qu'il en connoissoit, afin que je p.u.s.s.e le presenter a monseigneur le duc. [Footnote: Le duc de Bourgogne, auquel etoit attache la Brocquiere. Par tout ce que cit ici le voyageur on voit combien peu etoit connu en Europe le fondateur de l'Islamisme et l'auteur du Koran.] Il le fit avec plaisir, et j'ai apporte avec moi son travail.

Mon projet etoit de me rendre a Bourse. On m'aboucha en consequence avec un Maure qui s'engagea dam'y conduire en suivant la caravane. Il me demandoit trente ducats et sa depense: mais on m'avert.i.t de me defier des Maures comme gens de mauvaise foi, sujets a fausser leur promesse, et je m'abstins de conclure. Je dis ceci pour l'instruction des personnes qui auroient affaire a eux; car je les crois tels qu'on me les a peints. Hayauldoula me procura de son cote la connoissance de certains marchands du pays de Karman (de Caramanie). Enfin je pris un autre moyen.

Le grand-Turc a pour les pelerins qui vont a la Mecque un usage qui lui est particulier, au moins j'ignore si les autres puissances Mahometanes l'observent aussi: c'est que, quand ceux de ses etats partent, il leur donne a son choix un chef auquel ils sont tenus d'obeir ainsi qu'a lui.

Celui de la caravane s'appeloit Hoyarbarach; il etoit de Bourse, et c'etoit un des princ.i.p.aux habitans.

Je me fis presenter a lui par mon hote et par une autre personne, comme un homme qui vouloit aller voir dans cette ville un frere qu'il y avoit, et ils le prierent de me recevoir dans sa troupe et de m'y accorder surete. Il demanda si je savois l'Arabe, le Turc, l'Hebreu, la langue vulgaire, le Grec; et comme je repondis que non: Eh bien, que veut-il donc devenir?

reprit-il.

Cependant, sur la representation qu'on lui fit que je n'osois, a cause de la guerre, aller par mer, et que s'il daignoit m'admettre je ferois comme je pourrois, il y consent.i.t, et apres s'etre mis les deux mains sur sa tete et avoir touche sa barbe, il dit en Turc que je pouvois me joindre a ses esclaves; mais il exigea que je fusse vetu comme eux.

D'apres cela j'allai aussitot, avec un de mes deux conducteurs, au marche qu'on appelle bathsar (bazar). J'y achetai deux longues robes blanches qui me descenoient jusqu'au talon, une toque accomplie (turban complet), une ceinture de toile, une braie (calecon) de futaine pour y mettre le bas de ma robe, deux pet.i.ts sacs ou besaces, l'un pour mon usage, l'autre pour suspendre a la tete de mon cheval quand je lui ferois manger son orge et sa paille: une cuiller et une saliere de cuir, un tapis pour coucher; anfin un paletot (sorte de pour-point) de panne blanche que je fis couvrir de toile, et qui me servit beaucoup la nuit J'achetai aussi un tarquais blanc et garni (sorte de carquois), auquel pendoient une epee et des couteaux: mais pour le tarquais et l'epee je ne pus en faire l'acquisition que secretement; car, si ceux qui ont l'administration de la justice l'avoient su, le vendeur et moi nous eussions couru de grands risques.

Les epees de Damas sont le plus belles et les meilleures de tout la Syrie; mais c'est une chose curieuse de voir comment ils les brunissent. Cette operation se fait avant la trempe. Ils ont pour cela une pet.i.te piece de bois dans laquelle est ente un fer; ils la pa.s.sent sur la lame et enlevent ainsi se; inegalites de meme qu'avec un rabot on enleve celles du bois; ensuite ils la trempent, puisla polissent. Ce poli est tel que quand quelqu'un veut arranger son turban, il se sert de son epee comme d'un mirior. Quant a la trempe, elle est si parfaite que nulle part encore je n'ai vu d'epee trancher aussi bien.

On fait aussi a Damas et dans le pays des miroirs d'acier qui grossissent les objets comme un miroir ardent. J'en ai vu qui, quand on les exposoit au soleil, percoient, a quinze ou seize pieds de distance, une planche et y mettoient le feu.

J'achetai un pet.i.t cheval, qui se trouva tres-bon. Avant de partir je le fis ferrer a Damas; et de la jusqu'a Bourse, quoiqu'il y ait pres de cinquante journees, je n'eus rien a fair a ses pieds, excepte a l'un de ceux de devant, ou il prit une enclosure qui trois semaines apres le fit boiter. Voici comme ils ferrent leurs chevaux.

Les fers sont legers, tres-minces, allonges sur les talons, et plus amincis encore la que vers la pince. Ils n'ont point de retour [Footnote: Je crois que par retour la Brocquiere a entendu ce crochet nomme crampon qui est aux notres, et qu'il a voulu dire que ceux de Damas etoient plats.] et ne portent que quartre trous, deux de chaque cote. Les clous sont carres, avec une grosse et lourde tete. Faut-il appliquer le fer: s'il est besoin qu'on le retravaille pour l'ajuster, on le bat a froid sans le mettre au feu, et on le peut a cause de son peu d'epaisseur. Pour parer le pied du cheval on se sert d'une serpette pareille a celle qui est d'usage en-de-ca de la mer pour tailler la vigne.

Les chevaux de ce pays n'ont que le pas et le galop. Quand on en achete, on choisit ceux qui ont le plus grand pas: comme en Europe on prend de preference ceux qui trottent le mieux. Ils ont les narines tres-fendues courent tres bien, sont excellens, et d'ailleurs coutent tres-peu, puisqu'ils ne mangent que la nuit, et qu'on ne leur donne qu'un peu d'orge avec de la paille picquade (hachee). Jamais ile ne boivent que l'apres-midi, et toujours, meme a l'ecurie, on leur laisse la bride en bouche, comme aux mules. La ils sont attaches par les pieds de derriere et confondus tous ensemble, chevaux et jumens. Tous sont hongres, excepte quelques'uns qu'on garde comme etalons. Si vous avez affaire a un homme riche, et que vouz alliez le trouver chez lui, il vous menera, pour vous parler, dans son ecurie: aussi sont-elles tenues tres-fraiches et tres-nettes.

Nous autres, nous aimons un cheval entier, de bonne race; les Maures n'estiment que les jumens. Chez eux, un grand n'a point honte de monter une jument que son poulain suit par derriere. [Footnote: Ce trait fait allusion aux prejuges alors en usage chez les chevaliers d'Europe. Comme ils avoient besoin, pour les tournois et les combats, de chevaux tres-forts, ils ne se servoient que de chevaux entiers, et se seroient crus deshonores de monter une jument.] J'en ai vu d'une grande beaute, et qui se vendoient jusqu'a deux et trois cents ducats. Au reste, leur coutume est de tenir leurs chevaux sur le maigre (de ne point les laisser engraisser).

Chez eux, les gens de bien (gens riches, qui ont du bien) portent tons, quand ils sont a cheval, un tabolcan (pet.i.t tambour), dont ils se servent dans les batailles et les escarmouches pour se ra.s.sembler et se rallier; ils l'attachent a arcon de leur selle, et le frappent avec une baguette de cuir plat. J'en achetai un aussi, avec des eperons et des bottes vermeilles qui montoient jusqu'aux genoux, selon la coutume du pays.

Pour temoigner ma reconnoissance a Hoyarbarach j'allai lui offrir un pot de gingembre vert. Il le refusa, et ne ce fut qu'a force d'instances et de prieres que je vins a bout de le lui faire accepter. Je n'eus de lui d'autre parole et d'autre a.s.surance que celle dont j'ai parle cidessus.

Cependant je ne trouvai en lui que franchise et layaute, et plus peut-etre que j'en aurois eprouve de beaucoup de chretiens.

Dieu, qui me favorisoit en tout dans l'accompliss.e.m.e.nt de mon voyage, me procura la connoissance d'un Juif de Caffa qui parloit Tartare et Italien; je le priai de m'aider a mettre en ecrit dans ces deux langues toutes les choses dont je pouvois avoir le plus de besoin en route pour moi et pour mon cheval. Des notre premiere journee, arrive a Ballec, je tirai mon papier pour savoir comment on appeloit l'orge et la paille hachee que je voulois faire donner a mon cheval. Dix ou douze Turcs qui etoient autour de moi se mirent a rire en me voyant. Ils s'approcherent pour regarder mon papier, et parurent cussi etonnes de mon ecriture que nous le sommea de la leur; neanmoins ils me prirent en amitie, et firent tous leurs efforts pour m'apprendre a parler. Ils ne se laissoient point de me repeter plusieurs fois la meme chose, et la redisoient si souvent et de tant de manieres, qu'il falloit bien que je la retinsse; aussi, quand nous nous separames, savois-je deja demander pour moi et pour mon cheval tout ce qui m'etoit necessaire.

Pendant le sejour que fit a Damas la caravane, j'allai visiter un lieu de pelerinage, qui est a seize milles environ vers le nord, et qu'on nomme Notre-Dame de Serdenay. Il faut, pour y arriver, traverser une montagne qui peut bien avoir un quart de lieue, et jusqu'a laquelle s'etendent les jardins de Damas; on descend ensuite dans une vallee charmante, remplie de vignes et de jardins, et qui a une belle fontaine dont l'eau est bonne. La est une roche sur laquelle on a construit un pet.i.t chateau avec une eglise de callogero (de caloyers), ou se trouve une image de la Vierge, peinte sur bois: sa tete, dit-on est portee par miracle; quant a la maniere, je l'ignore. On ajoute qu'elle sue toujours, et que cette sueur est une huile.

[Footnote: Plusieurs de nos cuteurs du treizieme siecle font mention de cette vierge de Serdenay, devenue fameuse pendant les croisades, et ils parlent de sa sueur huileuse, qui pa.s.soit pour faire beaucoup de miracles.

Ces fables d'exsudations, miraculeuses etoient communes en Asie. On y vantoit entre autres celle qui decouloit du tombeau de l'eveque Nicolas, l'un de ces saints dont l'existence est plus que douteuse. Cette liqueur pretendue de Nicolas etoit meme un objet de culte; et nous lisons qu'en 1651, un cure de Paris en ayant recut une phiole, il demanda et obtint de l'archeveque la permission de l'exposer a la veneration des fideles, (Hist.

de la ville et du diocese de Paris, par Lebeuf. t. I., part. 2, p. 557.)]

Tout ce que je puis dire, c'est que quand j'y allai on me montra, au bout de l'eglise, derriere le grand autel, une niche pratiquee dans le mur, et que la je vis l'image, qui est une chose plate, et qui peut avoir un pied et demi de haut sur un de large. Je ne puis dire si elle est de bois ou de pierre, parce qu'elle etoit couverte entierement de drapeaux. Le devant etoit ferme par un treillis de fer, et au-dessous il y avoit un vase qui contenoit de l'huile. Une femme qui etoit la vint a moi; elle remua les drapeaux avec une cuillere d'argent, et voulut me faire, le signe de la croix au front, aux tempes et sur la poitrine. Il me sembla que tout cela etoit une pratique pour avoir argent; cependant je ne veux point dire par-la que Notre-Dame n'ait plus de pouvoir encore que cette image.

Je revins a Damas, et, la ville du depart, je reglai mes affaires et disposai ma conscience, comme si j'eusse du mourir; mais tout-a-coup je me vis dans l'embarras.

J'ai parle du courier qu'avoit envoye le Soudan pour faire arreter les marchands Genois et Catalans qui se trouvoient dans ses Etats. En venu de cet ordre, on prit mon hote, qui etoit Genois; ses effets furent saisis, et l'on placa chez lui un Maure pour les garder. Moi, je cherchai a lui sauver tout ce que je pourrois, et afin que le Maure ne s'en apercut pas, je l'enivrai. Je fus arrete a mon tour, et conduit devant un des cadis, gens qu'ils regardent comme nous nos eveques, et qui sont charges d'administrer la justice.

Le cadi me renvoya vers un autre, qui me fit conduire en prison avec les marchands. Il savoit bien pourtant que je ne l'etois pas; mais cette affaire m'etoit suscitee par un trucheman qui vouloit me ranconner, comme il l'avoit deja tente a mon premier voyage. Sans Autonine Mourrouzin, consul de Venise, il m'eut fallu payer; mais je restai en prison, et pendant ce temps la caravane part.i.t.

Pour obtenir ma liberte, le consul et quelques autres personnes furent obliges de faire des demarches aupres du roi (gouverneur) de Damas, alleguant qu'on m'avoit arrete a tort et sans cause, et que le trucheman le savoit bien. Le seigneur me fit venir devant lui avec un Genois nomme Gentil Imperial, qui etoit un marchand de par le Soudan, pour aller acheter des esclaves a Caffa. Il me demanda qui j'etois, et ce que je venois faire a Damas; et, sur ma reponse que j'etois Francais, venu en pelerinage a Jerusalem, il dit qu'on avoit tort de me retenir, et que je pouvois partir quand il me plairoit.

Je partis donc, le lendemain 6 Octobre, accompagne d'un moucre, que je chargeai d'abord de transporter hors de la ville mes habillemens Turcs, parce qu'il n'est point permis a un chretien d'y paroitre avec la toque blanche.

A peu de distance est une montagne ou l'on montre une maison qu'on dit avoir ete celle de Can; et, pendant la premiere journee, nous n'eumes que des montagnes, quoique le chemin soit bon; mais a la seconde nons trouvames un beau pays, et il continua d'etre agreable jusqu'a Balbec.

C'est la que mon moucre me quitta, et que je trouvai la caravane. Elle etoit campee pres d'une riviere, a cause de la chaleur qui regne dans le pays; et cependant les nuits y sont tres-froides (ce qu'on aura peine a croire), et les rosees tres-abondantes. J'allai trouver Hoyarbarach, qui me confirma la permission qu'il m'avoit donnee de venir avec lui, et qui me recommenda de ne point quitter la troupe.

Le lendemain matin, a onze heures, je fis boire mon cheval, et lui donnai la paille et l'avoine, selon l'usage de nos contrees. Pour cette fois les Turcs ne me dirent rien; mais le soir, a six heures, quand, apres l'avoir fait boire, je lui attachai sa besace pour qu'il mangeat, ils s'y opposerent et detacherent le sac. Telle est leur coutume: leur chevaux ne mangent qu'a huit, et jamais ils n'en laissent manger un avant les autres, a moins que ce ne soit pour paitre l'herbe.

Le chef avoit avec lui un mamelus (mamelouck) du soudan, qui etoit Cerquais (Circa.s.sien), et qui alloit dans la pays de Karman chercher un de ses freres. Cet homme, quand il me vit, seul, et ne sachant point la langue du pays, volut charitablement me servir de compagnon, et il me prit avec lui.

Cependant, comme il n'avoit point de tente, nous fumes souvent obliges de pa.s.ser la nuit dans des jardins sous des arbres.

Ce fut alors qu'il me fallut apprendre a coucher sur la dure, a ne boire que de l'eau, a m'a.s.seoir a terre, les jambes croisees. Cette posture me couta d'abord beaucoup; mais ce a quoi j'eus plus de peine encore a m'accoutumer, fut d'etre a cheval avec des etriers courts. Dans le commencemens je souffrois si fort, que, quand j'etois descendu, je ne pouvois remonter sans aide, tant les jarrets me faisoient mal; mais lorsque j'y fus accoutume, cette maniere me parut plus commode que la notre.

Des le jour meme je soupai avec mon mamelouck, et nous n'eumes que du pain, du fromage et du lait. J'avois, pour manger, une nappe, a la mode des gens riches du pays. Elles ont quatre pieds de diametre, et sont rondes, avec des coulisses tout autour; de sorte qu'on peut les fermer comme une bourse.

Veulent-ils manger, ils les etendent; ont-ils mange, ils les resserrent, et y renferment tout ce qui reste, sans vouloir rien perdre, ni une miette de pain, ni un grain de raisin. Mais ce que j'ai remarque, c'est qu'apres leur repas, soit qu'il fut bon, soit qu'il fut mauvais, jamais ils ne manquoient de remercier Dieu tout haut.

Balbec est une bonne ville, bien fermee de murs, et a.s.sez marchande. Au centre etoit un chateau, fait de tres-grosses pierres. Maintenant il renferme une mosquee dans laquelle est, dit-on, une tete humaine qui a des yeux si enormes, qu'un homme pa.s.seroit ais.e.m.e.nt la sienne a travers leur ouverture. Je ne puis a.s.surer le fait, attendu que pour entrer dans la mosquee il faut etre Sarrasin.

De Balbec nous allames a Hamos, et campames sur une riviere. Ce fut la que je vis comment ils campent et tendent leurs pavillons. Les tentes ne sont ni tres-hautes ni tres-grandes; de sorte qu'il ne faut qu'un homme pour les dresser, et que six a huit personnes peuvent s'y tenir a l'aise pendant les chaleurs du jour. Dans le cours de la journee ils en otent le bas, afin de donner pa.s.sage a l'air. La nuit, ils le remettent pour avoir plus chaud. Un seul chameau en porte sept ou huit avec leurs mats. Il y en a de tres-belles.

Mon compagnon, le mamelouck, et moi, qui n'en avions point, nous allames nous etablir dans un jardin. Il y vint aussi deux Turquemans (Turcomans) de Satalie, qui revenoient de la Mecque, et qui souperent avec nous. Mais quand ces deux hommes me virent bien vetu, ayant bon cheval, belle epee, bon tarquais, ils proposerent au mamelouck, ainsi que lui-meme me l'avoua par la suite lorsque nous nous separames, de se defaire de moi, vu que j'etois chretien et indigne d'etre dans leur compagnie. II repondit que, puisque j'avois mange avec eux le pain et le sel, ce seroit un crime; que leur loi le leur defendoit, et qu'apres tout Dieu faisoit les chretiens comme les Sarrasins.

Neanmoins ils persisterent dans leur projet; et comme je temoignois le desir de voir Halep, la ville la plus considerable de Syrie apres Damas, ils me presserent de me joindre a eux. Moi qui ne savois rien de leur dessein, j'acceptai; et je suis convaincu, aujourd'hui qu'ils ne vouloient que me couper la gorge. Mais le mamelouck leur defendit de venir davantage avec nous, et par-la il me sauva la vie.

Nous etions partis de Balbec deux heures avant le jour, et notre caravane etoit compsee de quatre a cinq cents personnes, et de six ou sept cents chameaux et mulets, parce qu'elle portoit beaucoup d'epices. Voici leur maniere de se mettre en marche.

Il y a dans la troupe une tres-grande nacquaire (tres grosse timbale). Au moment ou le chef veut qu'on parte, il fait frapper trois coups. Aussitot tout le monde s'apprete, et a mesure que chacun est pret, il se met a la file sans dire un seul mot: Et feront plus de bruit dix d'entre nous que mil de ceux-la. On marche ainsi en silence, a moins que ce ne soit la nuit, et que quelqu'un ne veuille chanter une chanson de gestes.[Footnote: On appeloit en France chansons de gestes celles qui celebroient les gestes et belles actions des anciens heros.] Au point du jour, deux ou trois d'entre eux, fort eloignes les uns des autres, crient et se repondent, comme on le fait sur les mosquees aux heures d'usage. Enfin, peu apres, et avant le lever du soleil, les gens devots font leurs prieres et ablutions ordinaires.

Pour ces ablutions, s'ils sont aupres d'un ruisseau, ils descendent de cheval, se mettent les pieds nus, et se lavant les mains, les pieds, le visage et tous les conduits du corps. S'ils n'ont pas de ruisseau, ils pa.s.sent la main sur ces parties. Le dernier d'entre eux se lave la bouche et l'ouverture opposee, apres quoi il se tourne vers le midi. Tous alors levent deux doigts en l'air; ils se prosternent et baisent la terre trois fois, puis ils se relevent et font leurs prieres. Ces ablutions leur ont ete ordonnees en lieu de confession. Les gens de distinction, pour n'y point manquer, portent toujours en voyage des bouteilles de cuir pleines d'eau: on les attache sous le ventre des chameaux et des chevaux, et ordinairement elles sont tres-belles.

Ces peuples s'accroup.i.s.sent, pour uriner, comme les femmes; apres quoi ils se frottent le ca.n.a.l contre une pierre, contre un mur ou quelque autre chose. Quant a l'autre besoin, jamais apres l'avoir satisfait ils ne s'essuient.

Hamos (Hems), bonne ville, bien fermee de murailles avec des fosses glaces (en glacis), est situee dans une plaine sur une pet.i.te riviere. La vient aboutir la plaine de Noe, qui s'etend, dit-on, jusqu'en Berse. C'est par elle que deboucha ce Tamerlan qui prit et detruisit tant de villes. A l'extremite de la ville est un beau chateau, construit sur une hauteur, et tout en glacis jusqu'au pied du mur.

De Hamos nous vinmes a Hamant (Hama). Le pays est beau; mais je n'y vis que peu d'habitans, excepte les Arabes qui rebatissoient quelques-uns des villages detruits. Je trouvai dans Hamant un marchand de Venise nomme Laurent Souranze. Il m'accueillit, me logea chez lui, et me fit voir la ville et le chateau. Elle est garnie de bonnes tours, close de fortes et epaisses murailles, et construite, comme le chateau de Provins, sur une roche, dans laquelle on a creuse au ciseau des fosses fort profonds. A l'une des extremites se voit le chateau, beau et fort, tout en glacis jusqu'au pied du mur, et construit sur une elevation. Il est entoure d'une citadelle qu'il domine, et baigne par une riviere qu'on dit etre l'une des quatre qui sortent du paradis terrestre. Si le fait est vrai, je l'ignore.

Tout ce que je sais, c'est qu'elle descend entre le levant et le midi, plus pres du premier que du second, (est-sud-est), et qu'elle va se perdre a Antioche.

La est la roue la plus haute et la plus grande que j'aie vue de ma vie.

Elle est mise en mouvement par la riviere, et fournit a la consommation des habitans, quoique leur nombre soit considerable, la quant.i.te d'eau qui leur est necessaire. Cette eau tombe en une auge creusee dans la roche du chateau; de la elle se porte vers la ville et en parcourt les rues dans un ca.n.a.l forme par de grands piliers carres qui ont douze pieds de haut sur deux de large.

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The Principal Navigations, Voyages, Traffiques and Discoveries of the English Nation Volume X Part 10 summary

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