Popular Tales - novelonlinefull.com
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Le Conte de Peau d'Asne est difficile a croire, Mais tant que dans le Monde on aura des Enfans, Des Meres & des Meres-grands, On en gardera la memoire.
LES SOUHAITS RIDICULES.
_CONTE._
A MADEMOISELLE DE LA C.
PAR MR. PERRAULT, DE L'ACADEMIE FRANcOISE.
Si vous etiez moins raisonnable, Je me garderois bien de venir vous conter La folle & peu galante Fable, Que je m'en vais vous debiter.
Une aune de Boudin en fournit la matiere.
Une aune de Boudin, ma chere: Quelle pitie! c'est une horreur, S'ecrieroit une Pretieuse, Qui toujours tendre & serieuse, Ne veut ouir parler que d'affaires de coeur.
Mais vous, qui mieux qu'autre qui vive, Scavez charmer en racontant, Et dont l'expression est toujours si nave, Que l'on croit voir ce qu'on entend, Qui scavez que c'est la maniere Dont quelque chose est invente, Qui beaucoup plus que la matiere, De tout recit fait la beaute, Vous aimerez ma Fable & sa moralite; J'en ai, j'ose le dire, une a.s.surance entiere.
Il etoit une fois un pauvre Bucheron, Qui las de sa penible vie, Avoit, disoit-il, grande envie De s'aller reposer aux bords de l'Acheron, Representant dans sa douleur profonde, Que depuis qu'il etoit au monde, Le Ciel cruel n'avoit jamais Voulu remplir un seul de ses souhaits.
Un jour que dans le bois il se mit a se plaindre, A lui la foudre en main Jupitre s'apparut.
On auroit peine a bien depeindre La peur que le bonhomme en eut.
Je ne veux rien, dit-il, en se jettant par terre, Point de souhaits, point de Tonnerre, Seigneur, demeurons but a but.
Cesse d'avoir aucune crainte, Je viens, dit Jupiter, touche de ta complainte, Te faire voir le tort que tu me fais.
Ecoute donc, je te promets, Moi qui du monde entier suis le Souverain Maitre, D'exaucer pleinnement les trois premiers souhaits Que tu voudras former sur quoi que ce puisse etre Voi ce qui peut te rendre heureux, Voi ce qui peut te satisfaire, Et comme ton bonheur depend tout de tes voeux, Songes y bien avant que de les faire.
A ces mots Jupiter dans les Cieux remonta, Et le gay Bucheron embra.s.sant sa falourde, Pour retourner chez lui sur son dos la jetta.
Cette charge jamais ne lui parut moins lourde, Il ne faut pas, disoit-il en trottant, Dans tout ceci rien faire a la legere Il faut, le cas est important, En prendre avis de notre Menagere, C'a, dit-il en entrant sous son toit de feugere, Faisons, Fanchon, grand feu, grand'chere, Nous sommes riches desormais, Et nous n'avons qu'a faire des souhaits.
La dessus fort au long tout se fait il lui conte.
A ce recit, l'Epouse vive & prompte, Forma dans son esprit mille vastes projets, Mais considerant l'importance De s'y conduire avec prudence, Blaise, mon cher Ami, dit-elle a son Epoux, Ne gatons rien par notre impatience, Examinons bien entre nous Ce qu'il faut faire en pareille occurrence.
Remettons a demain notre premier souhait, Et consultons notre chevet.
Je l'entens bien ainsi, dit le bonhomme Blaise, Mais va tirer du vin derriere ces f.a.gots.
A son retour il but, &, goutant a son aise Pres d'un grand feu la douceur du repos, Il dit, en s'appuyant sur le dos de sa chaise, Pendant que nous avons une si bonne braise, Une aune de Boudin viendroit bien a propos.
A peine acheva-t-il de p.r.o.noncer ces mots, Que sa Femme apperceut, grandement etonnee, Un Boudin fort long, qui partant D'un des coins de la cheminee, S'approchoit d'elle en serpentant.
Elle fit un cri dans l'instant, Mais jugeant que cette avanture Avoit pour cause le souhait Que par betise toute pure Son homme imprudent avoit fait, Il n'est point de pouille, ni d'injure, Que de depit & de couroux Elle ne dit a son Epoux.
Quand on peut, disoit-elle, obtenir un Empire, De l'or, des Perles, des Rubis, Des Diamans, de beaux Habits, Est-ce alors du Boudin qu'il faut que l'on desire?
Eh bien, j'ai tort, dit-il, j'ai mal place mon choix.
J'ai commis une faute enorme, Je ferai mieux une autrefois.
Bon, bon, dit-elle, attendez-moi sous l'orme.
Pour faire un tel souhait, il faut etre bien Boeuf.
L'Epoux plus d'une fois emporte de colere Pensa faire tout bas le souhait d'etre Veuf, Et peut-etre entre nous ne pouvoit-il mieux faire.
Les hommes, disoit-il, pour souffrir sont bien nez.
Peste soit du Boudin, & du Boudin encore.
Plut a Dieu, maudite Pecore, Qu'il te pendit au bout du nez!
La Priere aussitot du Ciel fut ecoutee, Et des que le Mari la parole lacha Au nez de l'Epouse irritee L'Aune de Boudin s'attacha.
Ce prodige impreveu grandement le facha.
La Femme etoit jolie, elle avoit bonne grace, Et pour dire sans fard la verite du fait, Cet ornement en cette place Ne faisoit pas un bon effet, Si ce n'est qu'en pendant sur le bas du visage Et lui fermant la bouche a tout moment Il l'empechoit de parler ais.e.m.e.nt, Pour un Epoux merveilleux avantage.
Je pourrois bien, disoit-il a part soi Pour me dedommager d'un malheur si funeste, Avec le souhait qui me reste Tout d'un plein saut me faire Roi, Rien n'egale, il est vrai, la grandeur Souveraine, Mais encore faut-il songer Comment seroit faite la Reine, Et dans quelle douleur ce seroit la plonger, De l'aller placer sur un Trone Avec un nez plus long qu'une aune.
Il faut l'ecouter sur cela; Et qu'elle meme elle soit la Maitresse De devenir une grande Princesse, En conservant l'horrible nez qu'elle a, Ou de demeurer Bucheronne, Avec un nez comme une autre personne, Et tel qu'elle l'avoit avant ce malheur-la.
La chose bien examinee, Quoi qu'elle sceut d'un Sceptre & le prix & l'effet, Et que quand on est couronnee On a toujours le nez bien fait, Comme au desir de plaire il n'est rien qui ne cede, Elle aima mieux garder son Bavolet, Que d'etre Reine & d'etre laide.
Ainsi le Bucheron ne changea point d'etat; Il ne devint point Potentat, D'ecus il n'emplit point sa Bourse, Trop heureux d'employer le souhait qui restoit, Fraile bonheur, pauvre ressource, A remettre sa Femme en l'etat qu'elle etoit; Tant il est vrai qu'aux hommes miserables, Aveugles, imprudens, inquiets, variables, Pas n'appartient de faire des souhaits, Et que peu d'entre eux sont capables De bien user des dons que le Ciel leur a faits.
GRISELIDIS.
_NOUVELLE._
PAR MR. PERRAULT, DE L'ACADEMIE FRANcOISE.
A MADEMOISELLE ----
En vous offrant, jeune & sage Beaute Ce modele de patience, Je ne me suis jamais flatte Que par vous de tout point il seroit imite C'en seroit trop en conscience.
Mais Paris ou l'homme est poli, Ou le beau s.e.xe ne pour plaire Trouve son bonheur accompli, De tous cotez est si rempli D'Exemples du vice contraire, Qu'on ne peut en toute saison Pour s'en garder ou s'en defaire, Avoir trop de contrepoison.
Une Dame aussi patiente Que celle dont ici je releve le prix, Seroit par tout une chose etonnante.
Mais ce seroit un prodige a Paris.
Les femmes y sont souveraines, Tout s'y regle selon leurs voeux, Enfin c'est un climat heureux Qui n'est habite que de Reines.
Ainsi je voi que de toutes facons, Griselidis y sera peu prisee, Et qu'elle y donnera matiere de risee, Par ses trop antiques lecons.
Ce n'est pas que la patience Ne soit une vertu des Dames de Paris, Mais, par un long usage elles ont la science De la faire exercer par leurs propres Maris.
Au pie des celebres Montagnes Ou le Po s'echappant de dessous ses roseaux, Va dans le sein des prochaines Campagnes, Promener ses naissantes eaux, Vivoit un jeune et vaillant Prince, Les delices de sa Province.
Le Ciel en le formant, sur lui tout a la fois, Versa ce qu'il a de plus rare, Ce qu'entre ses Amis d'ordinaire il separe, Et qu'il ne donne qu'aux grands Rois.
Comble de tous les dons & du corps & de l'Ame, Il fut robuste, adroit, propre au metier de Mars, Et par l'instinct secret d'une divine flame, Avec ardeur il aima les beaux arts.
Il aima les combats, il aima la Victoire, Les grands projets, les actes Valeureux, Et tout ce qui fait vivre un beau nom dans l'Histoire; Mais son coeur tendre & genereux Fut encor plus sensible a la solide gloire De rendre ses peuples heureux.
Ce temperament Heroque Fut obscurci d'une sombre vapeur Qui chagrine & melancolique, Lui faisoit voir dans le fond de son Coeur, Tout le beau s.e.xe infidelle & trompeur.
Dans la femme, ou brilloit le plus rare merite, Il voyoit une ame hipocrite, Un Esprit d'orguel enivre, Un cruel ennemi qui sans cesse n'aspire Qu'a prendre un souverain Empire Sur l'Homme malheureux qui lui sera livre.
Le frequent usage du Monde, Ou l'on ne voit qu'Epoux subjuguez ou trahis, Joint a l'air jaloux du Pas, Accrut encor cette haine profonde.
Il jura donc plus d'une fois Que quand meme le Ciel pour lui plein de tendresse, Formeroit une autre Lucrece, Jamais de l'himenee il ne suivroit les Loix.
Ainsi, quand le matin, qu'il donnoit aux affaires, Il avoit regle sagement Toutes les choses necessaires Au bonheur du Gouvernement, Que du foible orphelin, de la veuve oppressee, Il avoit conserve les droits, Ou banni quelque impot qu'une guerre forcee Avoit introduit autrefois; L'autre moitie de la journee A la Cha.s.se etoit destinee, Ou les Sangliers & les Ours, Malgre leur fureur & leurs Armes Lui donnoient encor moins d'allarmes Que le s.e.xe charmant qu'il evitoit toujours.
Cependant ses sujets que leur interet presse De s'a.s.seurer d'un Successeur Qui les gouverne un jour avec meme douceur, A leur donner un fils le convioient sans cesse.
Un jour dans le Palais ils vinrent tous en corps Pour faire leurs derniers efforts; Un Orateur d'une grave apparence, Et le meilleur qui fut alors, Dit tout ce qu'on peut dire en pareille occurrence Il marqua leur desir pressant De voir sortir du Prince une heureuse Lignee Qui rendit a jamais leur Etat florissant, Il lui dit meme en finissant Qu'il voyoit un astre naissant Issu de son chaste hymenee Qui faisoit palir le croissant.
D'un ton plus simple & d'une voix moins forte Le Prince a ses sujets repondit de la sorte.